Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe à la Maison Marie-Thérèse

Dimanche 19 décembre 2021 - Maison Marie-Thérèse (14e)

– 4e dimanche de l’Avent – Année C

- Mi 5, 1-4a ; Ps 79 (80), 2a.c.3bc, 15-16a, 18-19 ; He 10, 5-10 ; Lc 1, 39-45

Frères et Sœurs,

Vous vous souvenez sans doute qu’au moment de l’Annonciation, quand Marie s’interroge sur le message de l’ange, il lui est donné un signe : « Élisabeth, ta parente, qu’on disait la stérile, est enceinte, car rien n’est impossible à Dieu. » Si Marie s’empresse de courir chez Élisabeth ce n’est pas simplement en raison de leurs bonnes relations familiales, c’est que c’est le seul signe qui lui a été donné.
Comment interpréter ce qui s’est passé entre l’ange Gabriel et Marie ? Est-ce que c’est une illusion ? Est-ce que c’est un délire ? Est-ce que c’est la réalité ? Et comment la jeune Marie va pouvoir vérifier, et ne pas simplement s’autosuggestionner ? Est-ce qu’il y a un élément objectif extérieur à elle qui va lui permettre de confirmer le dialogue qu’elle a eu avec l’ange ?

Le seul signe qu’il lui a été donné, c’est la grossesse d’Élisabeth. Alors elle s’empresse de remonter en Judée pour aller voir. Le récit de l’évangile de Luc nous dit qu’au moment où elle salue Élisabeth, l’enfant a tressailli dans son sein, inaugurant ainsi sa mission de prophète et de précurseur du Messie.

L’évangile de Luc, si vous l’avez remarqué, pose le champ d’action de grâce de Marie, le Magnificat, après cette rencontre et après ce dialogue, justement parce que la rencontre de Marie et d’Élisabeth est la confirmation humaine de ce qui s’est passé avec l’ange Gabriel. Marie avait besoin que la promesse de l’ange reçoive un signe qui confirme son authenticité. Ce signe, elle le trouve auprès d’Élisabeth. À partir de ce moment-là, ce qui s’est passé avec l’ange Gabriel est sûr. Elle peut chanter son action de grâce.

Mais le signe qui est donné à Marie nous est donné à nous aussi. Cet enfant qui tressaille dans le sein d’Élisabeth, c’est le dernier prophète, le dernier d’une longue série qui a annoncé la venue du Messie, qui a promis que Dieu tiendrait son alliance, qui a annoncé - comme nous l’entendions avec le prophète Michée - que Dieu enverrait le vrai berger (Mi 5,3), dont nous savons comment Jésus, dans l’évangile, commente la figure de ce vrai berger. Ils ont annoncé qu’il enverrait la paix : il est notre paix parce qu’il est notre réconciliation, il est notre paix parce qu’il détruit la mort.

Et donc, nous pouvons voir dans cette rencontre entre Marie et Élisabeth, la césure entre les promesses répétées, renouvelées, et l’accomplissement. Jean-Baptiste est le dernier prophète à promettre, mais il ne fait pas que promettre et nous le savons par les récits de sa prédication, il appelle à la conversion. En effet, la césure entre le temps des promesses et le temps de l’accomplissement consiste à quitter le temps des sacrifices pour passer au temps du sacrifice ! Il s’agit de dépasser le temps où l’on répandait des flots de sang sur le peuple pour le purifier de ses péchés, où l’on offrait les animaux au Temple de Jérusalem en espérant apaiser la colère de Dieu, ce temps où ces sacrifices en étaient venus peu à peu à se substituer à la conversion des cœurs. Comme le disait l’un des prophètes : vous offrez des sacrifices mais votre cœur est loin de moi.

Alors ce n’est plus le temps des sacrifices de substitution, c’est pourquoi comme nous le dit l’épître aux Hébreux : « tu m’as ouvert l’oreille, alors j’ai dit voici je viens, mon Dieu, pour faire ta volonté ». Le nouveau régime qui est en train de s’instaurer, c’est le régime de la conversion des cœurs, c’est pourquoi d’ailleurs la prédication du Baptiste sera d’abord un appel à la conversion. C’est le régime du don de soi à la place des sacrifices. Il ne voulait ni oblation ni sacrifice alors j’ai dit : voici je viens mon Dieu pour faire ta volonté : le Seigneur ne veut ni oblation ni sacrifice, ce qui lui plait, c’est un cœur brisé et broyé, comme nous dit le psaume 50. Du cœur qui est brisé et broyé, tu n’as point de mépris, je mettrai en vous un cœur de chair. C’est ce cœur de chair qui doit accueillir la venue du Messie, c’est dans ce cœur de chair que nous devons ouvrir notre vie à sa visite, et l’ouvrir par notre conversion, qui est toujours à recommencer, comme les anciens sacrifices, mais qui est toujours agréée de Dieu, parce que c’est la conversion du cœur. Nous n’offrons pas la vie des autres, pas même des animaux, pour obtenir notre pardon, nous offrons la vie du Fils et en lui nous offrons notre propre vie.

Ainsi, du cœur qui est brisé et broyé, le Seigneur n’a pas de mépris, il agrée tous ceux qui se tournent vers lui pour accueillir son pardon. Il nous prépare comme Jean-Baptiste a préparé le chemin du Seigneur, comme Jean-Baptiste a annoncé la présence du Seigneur, comme Jean-Baptiste a été le précurseur. Il nous prépare à la venue du Messie dans notre chair, lui qui est le vrai berger, lui qui est notre Père.

Amen.

+André cardinal Vingt-Trois, archevêque émérite de Paris

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