Intervention de Mgr André Vingt-Trois “Catéchisme, une situation nouvelle”

Courrier Français de Touraine – 12 décembre 2003

Cinquième rencontre inter-religieuse, le mercredi 26 novembre 2003 à l’ESCEM sur le thème de la transmission des convictions religieuses. C’est Mgr André Vingt-Trois, pour l’Église catholique romaine, qui a clos ce cycle de réflexion devant 150 personnes issues des différentes confessions participantes.

Donnant l’impression d’une discussion au coin du feu, sérieuse, mais détendue, l’archevêque de Tours a évoqué la transmission des convictions religieuses selon un schéma beaucoup plus pragmatique que dogmatique, ce qui a permis à l’auditoire, composé des communautés juive, islamique, catholique, réformée, orthodoxe et baptiste, d’apprécier la précision et la clarté d’un exercice oratoire parfaitement maîtrisé et convaincant.

Mgr André Vingt-Trois a défini son exposé intitulé « Catéchisme, une situation nouvelle » selon quatre étape de réflexion. Laissons la parole à l’archevêque :

Première étape : Quelques convictions préalables

Convictions qui conditionnent la démarche de transmission dans la logique catholique. J’en ai retenu cinq, mais il en existe peut-être d’autres, explique l’archevêque :

 La première est une certaine vision de l’homme. Nous rentrons dans une logique où nous pensons que l’humanité ne peut atteindre la plénitude de ses potentialités sans la connaissance et la reconnaissance de Dieu. Un point de vue qui n’est pas aussi simple à assurer dans notre environnement culturel, qui donne l’impression de pouvoir se facilement dispenser de Dieu.

 La deuxième conviction, c’est une certaine vision de l’histoire humaine : Dieu créateur et maître de toute chose. Notre foi chrétienne est que ce Dieu est venu s’inscrire dans l’histoire humaine en Jésus Christ. Nous sommes conduits à reconnaître cette présence de Dieu à l’histoire humaine, mais c’est un exercice qui s’apprend.

 La troisième conviction, c’est une vision sacramentelle. Dieu nous permet de participer à l’Alliance par les sacrements, notamment par le baptême et l’eucharistie. Nous voyons ces sacrements comme une initiative de Dieu, un don gratuit, une grâce, et la fécondité de ce don, dans l’histoire de l’homme, dépend de notre réponse libre à ce don. Éduquer quelqu’un chrétiennement, c’est l’aider à formuler cette réponse libre au nom de l’amour de Dieu.

 La quatrième conviction est que l’un des signes messianiques que Jésus s’applique à lui-même et à son ministère est le suivant : la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres, règle forte pour la transmission de la foi, ce qui veut dire que la connaissance de Dieu et l’apprentissage de la vie chrétienne ne sauraient être réservés à une élite cultivée, ni être mesurés par la capacité scolaire ou intellectuelle. La Bonne Nouvelle est destinée à tous.

 La cinquième conviction, c’est la catéchèse, une initiation à la vie chrétienne. Ce n’est pas une science, mais un cheminement vers les sacrements de l’initiation que sont le baptême, la confirmation et l’eucharistie. Ce qui veut dire que le modèle que nous allons mettre en œuvre est celui du catéchuménat, c’est-à-dire l’initiation des adultes. Cela peut paraître surprenant en France, où 80 % de la transmission se fait dans l’enfance. Mais la vraie catéchèse est celle des adultes, le pôle par rapport auquel on va essayer de se situer, la catéchèse des enfants étant une variété pédagogique.

La deuxième étape : des évolutions

Essayons de repérer dans notre mémoire collective comment les choses se sont transformées. Ce que nous connaissons aujourd’hui, c’est une phase par rapport à d’autres phases et je voudrais en rappeler cinq parmi les plus significatives.

 La première phase date des 3 ou 4 premiers siècles et c’est celle qui a été la plus féconde et la plus riche à l’initiation des adultes. Pendant une période, le fait de demander d’être baptisé voulait dire changer de statut social : un bouleversement de l’existence qui ne se faisait pas facilement. Ainsi, s’agissant de la conversion de Paul Claudel à la cathédrale de Paris, entre le moment de l’éblouissement qui l’a transformé et le moment où il est devenu chrétien, il s’est écoulé des années. Il faut prendre du temps, refouler des réflexes antérieurs et se laisser conduire pour l’approfondissement de notre liberté. Donc, c’est la période où s’est mise en place tout le système de l’initiation chrétienne qui aboutit au sacrement de l’initiation au cours de la vigile pascale.

 La deuxième phase que je voudrais relever, c’est la phase de la formation des simples, avec pour référence la période du Moyen-Âge où nous voyons fleurir, à travers l’architecture, toute une catéchèse biblique conçue pour donner à voir à tous ceux qui ne savent pas lire (vitraux, fresques murales...). Période où, pour être un peu caricatural, il y a une distinction très forte entre la religion des lettrés (clercs, enluminures) et la religion des simples. Une période où il y a eu une extension massive du christianisme en Europe, avec une réduction du baptême des adultes au profit des baptêmes d’enfants. Le baptême des adultes devient alors un phénomène « souvenir ». Ce qui veut dire que toute la richesse de l’itinéraire initiatique des adultes va être absorbée par une sorte de catéchèse continue, sans les étapes précédentes de l’initiation.

 Troisième phase : celle de la Renaissance et de la Réforme, concomitante avec le développement de l’imprimerie et la catéchisation de ceux qui savent lire. Ce qui est significatif de cette période, c’est la volonté de construire un Instrument à destination des familles (catéchisme de Luther, catéchisme catholique). Le bagage minimum pour savoir ce que l’on vit. Dans les familles où on a développé la lecture, on va pouvoir lire chez soi et l’acte de catéchèse va devenir un acte familial.

 La phase suivante, pendant les XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles, est liée davantage à la scolarisation de masse. Dans ce système, progressivement, la catéchèse devient un élément du programme scolaire. Non seulement elle est intégrée dans l’horaire, mais elle est donnée par les mêmes gens. On assiste donc à une espèce d’assimilation de l’initiation chrétienne avec le développement de la culture humaine, ce qui est une grande richesse d’une certaine façon, mais qui a l’inconvénient de scolariser l’initiation chrétienne et de la décrocher de ses étapes liturgiques. À noter aussi la réduction de la catéchèse sur le seul âge enfantin.

 Cinquième et dernière phase : la période actuelle, marquée par la sécularisation et le passage d’une intégration complète du catéchisme dans la scolarité à une autonomie du catéchisme par rapport à l’école et à une catéchèse choisie et voulue. Il y a 30 ans, 80 % des enfants d’une classe de primaire allaient au catéchisme ou ailleurs, maintenant, il y en a 5 % maximum qui vont au « caté ». D’où un retournement complet de la situation. Celui qui va au catéchisme devient un élément particulier, ce qui implique une décision très forte des parents.

La troisième étape : une rupture de transmission

De plus en plus souvent, le catéchisme devient un choix parmi d’autres activités périscolaires et, par conséquent, la détermination des familles est plus importante. On est devant une des ruptures de l’histoire, qui se conjugue aussi avec une rupture de transmission qui se vit dans le contenu familial de l’éducation. Beaucoup de gens ne savent pas quoi faire car, dans le domaine de la transmission religieuse, on est dans le domaine où le rôle de la tradition est le plus fort. Les jeunes nous ressortent des choses qui viennent de leurs grands-parents. Le contenu mémorisé est jugé marginal, mais il tient une place considérable. Aujourd’hui, les jeunes grands-mères ne sont plus tout à fait sûres de ce qu’elles doivent dire. Le problème actuel est : est-ce que j’ai raison de croire à ce que je crois et de quel droit j’irais dire ça à mon petit-fils ou à ma petite-fille ? C’est une rupture de conviction dans la sphère familiale et pas seulement dans le contenu religieux. Nous savons que les grands repères qui servent de référence à toute une existence se mettent en place dès la petite enfance et sont transmis prioritairement par la famille. Nous constatons un risque d’un écart grandissant entre deux types de familles : des familles très motivées, où il y a une initiation précoce et des familles loin de toute pratique et qui se rattachent au catéchisme par tradition. Le risque est réel car, si dans un catéchisme de masse il existe les mêmes différences, on sait bien que dans un paquet, ceux qui traînent les pieds finissent par suivre, alors que s’il n’y a plus de paquet, ceux qui traînent les pieds finissent par freiner le mouvement. Le catéchisme de masse a été un instrument d’évangélisation à travers les familles, mais, dès l’instant qu’il devient un catéchisme d’élection, il va se transformer en un lieu de discernement entre les plus motivés et les moins motivés et les acteurs de la catéchèse se trouvent devant une situation difficile à vivre. Comment les accueillir ces enfants loin de la foi, pour que ce soit quelque chose de positif et, parallèlement, comment ne pas laisser s’endormir ceux qui sont effectivement chrétiens ? Un système à deux pôles avec des intersections floues qu’il faut gérer et pour l’instant, on ne les gère pas très bien.

Quatrième étape : un avenir catastrophique ?

Ces ruptures de transmission, on peut les vivre comme des catastrophes. Je reçois, à ce propos, des lettres de gens éplorés devant l’ignorance des enfants en matière de catéchisme... Il y a là le sentiment que l’on n’a pas su faire, mais je me dis que Dieu ne nous a pas envoyés, ici maintenant, pour reprocher à nos prédécesseurs ce qu’ils n’ont pas fait. Il faut se dire : qu’est-ce qu’on peut mettre en œuvre aujourd’hui, qu’est-ce qui peut devenir des chemins de progrès ? J’en ai retenus sept :

 Premier chemin de progrès : la connaissance du fait religieux, thème qui a pris une consistance accrue. Il y a des gens qui n’ont aucune connaissance. On se trouve devant des réalités qui restent muettes et les vitraux des cathédrales ne disent rien.

 Deuxième chemin de progrès : l’éducation morale et le rôle des vertus humaines. On ne fait pas des saints sans avoir des hommes, on ne fait pas de chrétiens si on ne fait pas des hommes. Quel intérêt peuvent représenter les paroles de la Bible pour des êtres humains qui n’ont pas les instruments élémentaires pour faire la différence entre ce qui est bien et ce qui est mal : respect de l’autre, de la parole donnée, du bien d’autrui ? On pourrait prendre les dix paroles comme base morale élémentaire. Ce que faisaient les instituteurs laïques dans les écoles primaires, il y a 50 ans, en disant aux élèves : montre-moi tes mains, ou qui écrivaient une phrase de morale sur le tableau, chaque jour. C’est le passé, ça ne se fait plus. Il faut peut-être le faire ailleurs qu’à l’école et refaire cet apprentissage de base des vertus humaines.

 Troisième chemin de progrès : les communautés chrétiennes prennent plus à cœur la transmission de la foi. Il ne faut plus que ce soit l’affaire d’un petit groupe dans la marge. L’avenir de nos communautés n’est pas un problème privé. Une communauté doit avoir le souci de savoir ce que va devenir sa jeunesse. Il faut que tout le monde s’y mette, au moins dans l’intention.

 Quatrième chemin de progrès : L’initiation sacramentelle. Les sacrements ne sont pas un produit d’appel. Il faut reprendre le sens profond des sacrements qui ne sont ni un système pour accrocher, ni un libre-service où l’on prend ce que l’on veut, mais une célébration de la grâce de Dieu à l’œuvre dans la conversion d’une vie.

 Cinquième chemin de progrès : mettre en œuvre une catéchèse plus historique que dogmatique. Dans le flou de notre culture, les jeunes sont plus sensibles à des gens dont les paroles s’appuient sur une manière de vivre. Il faut raconter la foi des autres. L’alliance à travers les temps est une histoire sainte ouverte à tous ceux qui sont demandeurs.

 Sixième chemin de progrès : une initiation chrétienne plus dense, plus mystique, pour ceux qui peuvent entrer dans cette démarche. Un enfant de 9-10 ans ne se balade pas seul, il n’ira pas à la messe sans ses parents. S’il est complètement ignorant de tout enjeu, il ne peut pas choisir, d’où l’importance du contexte familial.

Enfin, septième chemin de progrès : les évêques de France ont fait quelque chose : un texte « Aller au cœur de la foi », une proposition pour inviter les catholiques à faire une appréciation de la responsabilité des communautés chrétiennes dans ce domaine et cela, à partir de la célébration de la vigile pascale, qui rassemble tout un ensemble d’éléments (comme la lumière, l’eau du baptême…). Autrement dit, si on faisait un rêve qui montrerait le chrétien comme on voudrait qu’il soit, voilà ce qu’il vivrait ! Alors, à partir de là, on se dit comment pourrait-on éclairer ce qui se vit actuellement à partir de ce but, et comment, dans les communautés, peut-on agir ? En se posant ce type de question, réfléchir et prendre conscience de ces enjeux.

L’exposé de Mgr André Vingt-Trois s’est terminé sur cette interrogation qui a ouvert un court débat avec un auditoire où étaient présents les représentants des autres communautés (MM Guguenheim, Merapti, Muller, Busson, Jollet et quelques prêtres catholiques, dont le vicaire général Jean-Claude Berra). C’était la dernière soirée où le problème de la transmission des convictions religieuses était évoqué. Un questionnaire a été remis par les organisateurs aux personnes présentes, pour connaître l’évolution à donner à ces rencontres inter-religieuses, qui, déjà, ont eu le mérite d’exister et de créer des liens. Aller plus loin, c’est difficile, mais certainement nécessaire.

Propos recueillis par Jean-Yves BONIN

Cardinal André Vingt-Trois

Archevêque de Tours