Après l’hiver, le printemps de Notre-Dame

Paris Notre-Dame du 13 avril 2023

Près de quatre ans après l’incendie du 15 avril 2019, Notre-Dame vit une période d’éclosion et de renaissance, tant au niveau du chantier de restauration que pour les différentes missions qui incombent au diocèse de Paris. Décryptage et point d’étape avec Mgr Olivier Ribadeau Dumas, recteur de Notre-Dame depuis septembre dernier.

Mgr Olivier Ribadeau Dumas, recteur de Notre-Dame de Paris
© SNDL / Pierre Vincent

Par Charlotte Reynaud

Paris Notre-Dame – Vous avez pris vos fonctions comme recteur de la cathédrale en septembre dernier. Pouvez-vous revenir sur les avancées de ces derniers mois ?

Mgr Olivier Ribadeau Dumas – Cela fait en effet un peu plus de sept mois que je suis recteur de la cathédrale, sept mois intenses de dur labeur. La mission est complexe et délicate, car elle comporte de multiples aspects, implique un grand nombre d’interlocuteurs et porte des enjeux considérables, à la hauteur de l’émotion suscitée par l’incendie. Ce chantier est passionnant, et donc passionnel, ce qui nécessite de prendre suffisamment de recul et de hauteur pour garder le cap sur l’essentiel et apaiser d’éventuelles tensions. En quelques mois, il a fallu prendre connaissance des nombreux éléments de la mission, établir une relation de confiance avec les différents intervenants afin de se mettre au travail. Aujourd’hui, nous sommes dans une phase très intéressante, même réjouissante, des travaux. Après l’hiver d’un chantier où tout était enfoui pendant trois ans, nous vivons une période d’éclosion, de printemps, où nous pouvons enfin voir des avancées très concrètes sur la rénovation de Notre-Dame, mais aussi sur les travaux qui incombent au diocèse ; je pense à l’éclairage, au son et à la vidéo, à l’aménagement des chapelles, au processus de création du mobilier liturgique, des chaises ou encore à la construction du reliquaire… Viendront ensuite le temps des finitions, puis la « saison » de l’automne, qui sera celle de la poursuite des travaux après la réouverture. En 2024, on s’en doute, la cathédrale n’en aura pas fini avec les échafaudages ! Il faudra, en effet, s’atteler à la troisième phase des travaux – l’extérieur des transepts, du chevet et de la tour sud –, à la reconstruction du parvis et à l’aménagement des abords. Cela étant dit, je suis prêtre et non chef de travaux ! Mon plus grand désir, c’est que le diocèse puisse de nouveau se réunir à Notre-Dame pour y vivre ses grandes célébrations et que la cathédrale soit un témoignage de foi vécue.

P. N.-D. – Quelles sont les étapes clés à venir concernant les travaux, côté diocèse ?

O. R. D. – Concernant le mobilier liturgique et la conception des chaises, les différents artistes ont été présélectionnés en tout début d’année (cf. PND 1941). Pour le mobilier liturgique, les artistes doivent rendre leur projet le 23 mai. Durant ce processus de création, nous les voyons trois fois dans le cadre d’un comité d’accompagnement afin qu’ils puissent, pendant deux heures et de manière individuelle, nous interroger ou nous présenter un certain nombre de choses. Le rôle de ce comité n’est pas d’être un jury, mais d’éveiller à telle ou telle dimension. De son côté, Mgr Ulrich a également reçu les artistes pour leur dire ce qu’il attendait, rappeler les dimensions liturgiques et fonctionnelles de chaque objet, appelé par ailleurs à s’intégrer dans une histoire qui a commencé il y a plus de 850 ans. Enfin, le 13 juillet, la Commission nationale du patrimoine et de l’architecture (CNPA) se réunira sur le projet proposé par le diocèse. C’est une étape très importante. L’autre volet des travaux concerne l’extension fonctionnelle de la cathédrale pour les besoins de son affectation au culte, à savoir la création d’une surface d’environ 550 m2. Nous sommes, en effet, amputés d’un grand volume de rangement et d’un bon tiers de l’espace de la crypte Soufflot, pour des raisons essentiellement liées à la sécurité (circulation et incendie, NDLR), et la Maîtrise Notre-Dame a également besoin d’un espace adéquat pour répéter.

P. N.-D. – Concernant la Maîtrise justement, elle a retrouvé ses aubes traditionnelles début décembre…

O. R. D. – La remise des aubes le 1er décembre était un très beau moment, émouvant pour les chanteurs bien sûr, mais aussi pour les fidèles de St-Germain-l’Auxerrois (1er) et les téléspectateurs de KTO. Revoir ces aubes bleues typiques de Notre-Dame est aussi le signe d’une réouverture prochaine. La Maîtrise est un élément important du rayonnement de la cathédrale, par sa qualité musicale, reconnue internationalement, sa participation aux offices et ses concerts qui sont dans le prolongement de la vocation de la cathédrale. C’est une chance de les avoir, eux qui sont héritiers et dépositaires de ce répertoire médiéval de Paris.

P. N.-D. – Comment faire vivre Notre-Dame hors les murs ?

O. R. D. – Notre-Dame vit. À St-Germain-l’Auxerrois, c’est la liturgie de la cathédrale qui est célébrée. Vivre le chemin de croix, Vendredi saint, ou la proclamation de la Résurrection, le jour de Pâques, sur le parvis, c’est manifester qu’elle vit, qu’elle est bien l’Église-mère du diocèse, lieu de communion autour de notre archevêque. L’approche de la réouverture, prévue le 8 décembre 2024, doit nous pousser à retrouver ce chemin de la cathédrale, en organisant un certain nombre d’événements et en développant, dans les paroisses parisiennes, ce désir de s’y réunir. C’est une des raisons pour lesquels nous avons installé des gradins sur le parvis, non seulement pour contempler Notre- Dame au-delà des palissades, mais aussi pour permettre à des paroisses ou des groupes de se rassembler pour des temps de prière, de louange ou d’adoration et se préparer, spirituellement, à cette réouverture. Le rayonnement exceptionnel de Notre-Dame de Paris, même à l’international, nous pousse également à réfléchir à d’autres types d’événements, comme faire circuler une réplique de la Vierge du pilier dans différents diocèses de France…

P. N.-D. – Comment envisager la réouverture ?

O. R. D. – L’année à venir sera celle de la préparation, à la fois de la réouverture – qui s’étendra sur un temps long – et du fonctionnement de la cathédrale. Il faudra tout réapprendre, qu’on soit sacristains, clercs, choristes, organistes ou bénévoles ; on ne se réapproprie pas si facilement une cathédrale qui a été fermée pendant cinq ans ! Surtout quand cette cathédrale est profondément transformée par les travaux : les chapelles et les collatéraux, autrefois très sombres, sont désormais aussi clairs que la nef grâce à la restauration. Cela donne une largeur à la cathédrale qu’on ne soupçonnait pas auparavant. On sera sans doute très éblouis par la cathédrale et l’éclat de sa pierre, mais il faudra aussi retrouver ses marques, se réapproprier ses dimensions et même l’attachement et l’imaginaire qu’on en avait. Il faudra aussi voir comment elle réagit. Je plaide beaucoup pour qu’on ne fige pas tout, notamment dans les chapelles latérales, car les choses évolueront. Il faudra aussi accepter de travailler avec une grande agilité, puisque nous devrons sans cesse nous adapter aux chantiers extérieurs.

P. N.-D. – Quel est votre propre lien à Notre-Dame ?

O. R. D. – Je suis prêtre de Paris et j’ai été ordonné dans cette cathédrale. J’ai encore le souvenir de la pierre froide pendant la grande prostration. Notre-Dame, c’est un souvenir charnel. J’y ai vécu des moments très forts, notamment lorsque, me posant des questions sur ma propre vocation, bien avant d’entrer au Séminaire, j’assistais aux ordinations ; mon appel est lié aussi à la réponse de ceux qui me précédaient. Notre-Dame est liée à des grands épisodes de l’Église à Paris et à des figures qui m’ont marqué comme prêtre, à commencer par Mgr Jean-Marie Lustiger et Mgr André Vingt-Trois. En 2005, j’ai été nommé chanoine de la cathédrale, une charge qui vous invite à prier davantage pour le diocèse. Ce n’est pas rien !

P. N.-D. – Comment vous projetez-vous dans Notre-Dame de nouveau ouverte aux visiteurs ?

O. R. D. – L’archevêque a le désir que Notre-Dame soit un lieu de prière, de célébration du culte et aussi d’accueil pour les quatorze millions de visiteurs qui franchiront ses portes chaque année. J’aime bien ce mot de « visiteurs » parce qu’il évoque la Visitation, et donc la rencontre. Tel est l’enjeu : rencontrer Notre-Dame, pas simplement comme un bâtiment de pierre, mais aussi comme un lieu où les pierres vivantes se réunissent et bâtissent ensemble le corps du Christ. Ce témoignage de foi, au coeur de ce bâtiment patrimonial exceptionnel, repose, entre autres, sur le culte, le parcours de catéchèse et l’accueil des visiteurs, et donc sur une équipe de prêtres et de laïcs, de salariés et de bénévoles, qui devra s’étoffer. Olivier Josse, qui vient d’être recruté comme secrétaire général de la cathédrale, est justement chargé de réfléchir à l’accueil du public que je veux à la fois fraternel et chaleureux ; l’objectif est de pouvoir informer mais aussi indiquer où trouver un prêtre disponible pour répondre aux questions, se confesser, etc. Nous travaillons aussi avec CASA Notre-Dame (Communautés d’accueil dans les sites artistiques), afin de mettre en avant des visites où la dimension spirituelle est vraiment manifeste.

P. N.-D. – Vous évoquez également le culte et le parcours de catéchèse…

O. R. D. – J’ai été, comme recteur de Lourdes (Hautes- Pyrénées), particulièrement marqué par la dévotion popu-laire et le culte marial. Je crois beaucoup qu’aujourd’hui, les signes sont nécessaires à la vie spirituelle ; toucher la grotte, tenir un cierge, boire de l’eau, c’est important. À Notre-Dame, on pourra désormais toucher le reliquaire de la couronne d’épines, qui sera plus imposant et plus accessible que le précédent. Tout est fait pour que cette relique, signe de la Passion du Christ, devienne un lieu central de la cathédrale ; cela donne à la dévotion à Notre-Dame quelque chose de particulier, c’est Notre Dame de la confiance, de la compassion… Il y a cette Pietà au fond du choeur qui est là pour nous rappeler, à côté de la Vierge du pilier, que cet enfant sera cet homme dans ses bras, décroché de la croix. On peut développer une catéchèse et une prière mariale, la tenue d’un chapelet... Nous souhaitons aussi proposer des lieux de dévotion. Le grand crucifix sera déplacé dans une chapelle où les gens pourront prier. Concernant le chemin de pèlerinage, son schéma, du nord au sud en passant par le choeur, est dicté de manière assez naturelle par la structure de la cathédrale : côté nord, les hauts-reliefs de la clôture du choeur parlent de l’Incarnation, tandis qu’au sud, ils évoquent la Résurrection. Entre les deux, la couronne d’épines rappelle la Passion du Christ. Ce qui prépare l’Incarnation, c’est l’Ancien Testament, et ce qui suit la Résurrection, ce sont les fruits de la Pentecôte. Il y a là toute une catéchèse possible, en proposant ce parcours à travers les différentes chapelles, un parcours qui soit imprégné de la parole de Dieu.

P. N.-D. – Qu’est-ce qui nourrit votre espérance ?

O. R. D. – Je souhaite que les fidèles de Paris se sentent chez eux à Notre-Dame, que les paroisses puissent retrouver un lien avec la cathédrale, et pas simplement lors des grandes célébrations diocésaines. Je n’oublie pas non plus qu’à côté de la cathédrale a été construit l’Hôtel-Dieu, destiné aux plus pauvres. Pendant des années, l’ordre de Malte organisait des petits-déjeuners sur le parvis. Quelle action caritative peut-on avoir au sein de la cathédrale ? Quelle place donner aux plus pauvres ? C’est un axe pastoral qui donne matière à réflexion, dès aujourd’hui.

Incendie de Notre-Dame de Paris

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